"Investir dans la recherche est une priorité". Le ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, François Biltgen, au sujet de la recherche au Luxembourg

Le Figaro: Quelle est la place de l'enseignement supérieur au Luxembourg?

François Biltgen: Le Luxembourg n'avait pas d'université jusqu'en 2003. Elle a été créée pour répondre à deux défis de l'ère post industrielle. D'abord, pour développer la société et l'économie par le biais de la recherche et de l'innovation. Ensuite en contribuant par ce biais à offrir à davantage de citoyens une formation d'enseignement supérieur. Car avec la fin de l'ère industrielle, le marché du travail est passé d'une structure pyramidale avec peu de diplômés de niveau supérieur à une structure en sablier dans laquelle plus de 50% des emplois nouvellement créés nécessitent des diplômes d'enseignement supérieur. Le risque était de freiner la propension de nos étudiants à la mobilité. Mais l'écueil a été évité puisque tous les étudiants sont tenus de passer au moins un semestre à l'étranger et que tous les enseignements sont multilingues. Pour encourager les jeunes à entamer des études, nous avons également instauré un système de bourse. De plus, l'université a établi un réseau avec d'autres universités partenaires partout en Europe qui favorise la mobilité dans les deux sens. Aujourd'hui, 40% de nos étudiants sont non Luxembourgeois et 75% des Luxembourgeois font encore leurs études à l'étranger. On a répondu au processus de Bologne avant les autres!

Le Figaro: Votre action s'inscrit dans le cadre du concept du "triangle de la connaissance", qui vise à renforcer le potentiel des acteurs à produire des connaissances par la recherche, à les diffuser par l'enseignement supérieur et à les appliquer grâce à l'innovation. Comment le mettez-vous en œuvre concrètement?

François Biltgen: En 2005, nous avons commandé une étude auprès de l'OCDE sur la gouvernance de la recherche au Luxembourg. A la suite de cette étude, nous avons créé le Conseil supérieur de la Recherche et de l'lnnovation, co-présidé par les ministères de la Recherche et de l'Economie. Il rassemble neuf personnes qui à divers titres conseillent le gouvernement dans sa politique d'innovation. Cette politique repose sur deux instruments principaux: l'agence Luxinnovation GIE d'une part, le Fonds national de la Recherche (FNR) de l'autre. En pratique, la recherche luxembourgeoise se répartit sur quatre centres de recherche publics (CRP) - Santé, Gabriel Lippmann, Henri Tudor, et le Centre d'Etudes de Populations, de Pauvreté et de Politiques Socio-Economiques (CEPS) - qui ont une double mission de recherche et de transmission du savoir. Les budgets de ces centres sont financés en moyenne à 60% par le Gouvernement, à 20% par le biais de la recherche contractuelle notamment avec des structures privées et à 20% par d'autres bailleurs de fonds, par exemple le FNR et la Commission européenne via leurs programmes de recherche. En tant que "petit pays", nous nous devons de concentrer notre recherche sur quelques axes porteurs tels que les matériaux, le droit européen, l'éducation dans un contexte multilingue et multiculturel, les biotechnologies ou la recherche appliquée dans le domaine de la santé, notamment du cancer du poumon. Mais nous ne négligeons jamais la recherche fondamentale sans laquelle, à mon sens, il ne peut y avoir de réelle innovation. Ainsi, l'Université offre d'ores et déjà un "master" en "Systems biology".

Le Figaro: La finance et le spatial constituent également deux secteurs porteurs d'innovation.

François Biltgen: Dans le secteur financier qui porte une partie de l'économie luxembourgeoise, il nous faut de nouvelles idées, de nouveaux produits, de nouvelles formations. L'innovation passe aussi par la sécurité des systèmes d'information. Le projet de recherche U2010 de l'Union Européenne, attribué à un consortium sous la direction de l'Université du Luxembourg et reprenant de nombreuses firmes nationales, travaille par exemple à relier les systèmes de communication en IPv6. Et en effet, le Luxembourg est également impliqué dans les activités spatiales européennes. Elle participe à I'ESA (Agence spatiale européenne) depuis 2005 et le plus grand opérateur de satellites, Astra, est luxembourgeois. Nos programmes prioritaires portent sur les télécoms, le développement d'applications et de services liés au satellite ainsi que la participation au développement d'infrastructures satellitaires. Cela concerne 24 entreprises nationales et des centaines de salariés.

Le Figaro: Où en est votre projet de construire la Cité des Sciences, de la Recherche et de l'lnnovation sur la terrasse des hauts-fourneaux de la friche Belval-Ouest?

François Biltgen: Il s'agit d'un projet phare de la conversion des friches industrielles luxembourgeoises. Après l'arrêt des hauts-fourneaux en 1996, les expertises économiques, techniques et environnementales ont confirmé que le développement du site constituait une occasion unique pour le pays mais aussi pour la Grande Région. Ce que Belval propose est une synthèse idéale des aspects habitat, travail et loisirs dans un environnement moderne. Nous allons regrouper les activités d'enseignement universitaire et de recherche dans des maisons thématiques telles que les maisons des sciences humaines, du nombre (mathématiques et informatique), du livre (bibliothèque universitaire), de l'ingénieur, et des matériaux. Nous ouvrirons ces cinq maisons en 2013-2014, les départements du droit et la finance restant à Luxembourg Ville. Nous voulons aussi profiter de Belval et de sa proximité avec la France pour en faire un grand centre de compétences transfrontalier, qui permette de rééquilibrer les flux entre la France et le Luxembourg.

Le Figaro: Vous êtes à l'origine de "l'initiative Gago-Biltgen" proposée à la Commission européenne. Quel en est l'objet?

François Biltgen: Nous avons fait le constat que nous manquons de chercheurs en Europe, surtout dans les sciences exactes. L'initiative "Gago-Biltgen" proposée avec mon homologue portugais José Mariano Gago sur demande de notre collègue Valérie Pécresse sous présidence française de l'Union Européenne, s'attache à résoudre les problèmes concrets auxquels sont confrontés les jeunes chercheurs, en assurant par exemple aux doctorants et post-doctorants un contrat de travail, une sécurité sociale, des congés maternité, etc. La présidence espagnole devrait poursuivre l'initiative et encourager la mise en œuvre d'un fonds européen pour les pensions complémentaires des chercheurs. Au Luxembourg même, nous mettons en place à compter de 2010 un plan d'action pour attirer les talents et les retenir.

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